Rouleau, encre et peinture sur papier, montage sur soie
121 (h) × 44 cm [186 (h) × 57.3 cm]
Hangon-kō
Attribué à Maruyama Ōkyo (1733-1795)
Cette peinture s’inspire d’une histoire chinoise parvenue au Japon par la voie d’un poème de Bai Juyi (772-846), un classique de la littérature. L’empereur Han Wudi était follement amoureux de sa sublime épouse Li qui, très jeune, tomba malade et mourut. Au cours de sa maladie, et ce jusqu’à sa mort, la belle Li refusait de voir l’empereur ne voulant pas lui montrer son visage émacié. Celui-ci, dévasté de chagrin, conserva le souvenir d’une jeune femme qui lui manquait terriblement. Un jour, il demanda à un moine Taoïste de préparer de l’encens magique pouvant ramener parmi les vivants l’âme d’une personne décédée. Cet encens spécial était appelé hangon-kō, « encens qui ramène les âmes ». Un soir, l’empereur le fit brûler dans un encensoir en or et la silhouette de Li s’éleva dans la fumée d’hangon-kō. L’encens se consuma entièrement sans qu’il ne puisse rien voir d’elle si ce n’est sa silhouette, et son cœur brisé ne s’en remit jamais.
Pendant la période Edo, cette histoire était très appréciée et mentionnée dans de nombreuses œuvres littéraires japonaises. Elle fut également déclinée sous de nombreuses versions dont Ugetsu monogatari et la pièce de Kabuki Kēsē hangon-kō. Le succès de ces rouleaux de fantômes est lié à l’émergence, pendant l’ère An’ei (1772-81), d’une activité estivale populaire qui consistait à se « rafraîchir » entre amis pour se raconter des histoires effrayantes. Les rouleaux représentant des fantômes devinrent alors des éléments de décoration très prisés et le style « sans jambes » introduit par Ōkyo fut très à la mode. Un bel exemple de rouleau hangon-kō no zu appartient au temple Kudo-ji. L’absence de jambes devint bientôt la caractéristique typique des représentations de fantômes. Avant Ōkyo les fantômes avaient encore des jambes mais étaient rarement beaux.
Au bas de cette peinture, un grand encensoir chinois laisse s’échapper une fumée où se dessine la silhouette d’une belle jeune femme. Elle porte un kosode (kimono à courtes manches) en shibori (une technique de teinture à réserves par ligatures) très sophistiqué. Son uchikake (kimono en soie, doublé et matelassé) décoré d’un motif de chrysanthèmes en arabesque est maintenu par une ceinture obi noire, également décorée d’arabesques. Sa longue chevelure est détachée, couvrant son dos et ses épaules. Son front, son nez et son cou sont maquillés de poudre blanche. La jeune femme semble être dans la fleur de l’âge, d’une beauté radieuse. Est-elle l’image de Li conservée par l’empereur Han Wudi reflètant ce qu’il souhaitait voir plutôt que l’âme même de la morte ? Ou bien a-t-elle été créée, selon un poème de l’époque Edo dans lequel la courtisane qu’un homme désirait tant était aimée, désirée et pourtant fragile. Le poème se termine sur ces mots : « Nous nous perdons pour une belle femme, dans la vie et même après la mort. Nous sommes tous des créatures émotives. Il faut nous méfier si l’on rencontre une si belle femme fatale. »
On ne saura bien-sûr jamais si l’artiste évoque le texte original ou l’une des versions qui suivirent, il semble cependant certain que le but de cette peinture n’était pas de « rafraichir » les gens pendant l’été mais plutôt d’exprimer tristesse et mélancolie suite à un accident tragique de la vie.